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«Les réseaux d’intellectuels dans l’entre-deux guerres», Martin Grandjean (Lettres, Unil), vendredi 8 mars 2013

Compte-rendu par Yannick Rochat (DHLab, EPFL)

Martin Grandjean, historien, a récemment obtenu un financement du Fonds National Suisse pour ce travail de thèse, dont il nous a présenté quelques pistes de réflexion et des premiers visuels, sur une thématique qui prolonge et étend son travail de Master portant sur les Cours universitaire de Davos (CUD). Sa thèse est co-dirigée par les Professeurs François Vallotton (UNIL) et Bertrand Müller (UNIGE).

Dans ce compte-rendu, nous décrivons le contenu de la présentation, qui commençait par une introduction au contexte des archives et du monde scientifique européen dans la période d’entre-deux-guerres, pour poursuivre sur les questions de recherche et l’utilisation de l’analyse de réseaux. Nous évoquons finalement quelques-unes des interventions qui conclurent la matinée.

Martin a exprimé sa version des faits ici.

Contexte

Le travail de Martin consiste aujourd’hui, dans les premiers mois du projet, à passer en revue le fonds d’archives de la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI) de la Société des Nations (SDN) avec son collègue doctorant Panayotis Papaevangelou. Il s’agit d’en construire une première description, car le fonds est vaste et des choix doivent être faits quand aux documents méritant plus avant leur attention. Sur ce point, une approche systématique doit être définie, qui va dépendre de la définition des questions de recherche. Elle devra assurer qu’une même importance soit donnée à des documents répondant à des critères équivalents. Au vu de ces éléments, Martin rappelle que le travail qui nous est présenté n’est qu’un témoignage de l’état de ses réflexions à ce jour.

La démarche s’inscrit dans le cadre des humanités digitales, en cela qu’elle allie à la composante historique l’usage d’outils computationnels, notamment pour l’analyse de réseaux. Les différentes étapes d défrichage d’archives sont documentées : en plus de décrire une partie du fonds du CICI, le contexte de travail (qui, jour, lieu, etc.) est relevé. Cet aspect du travail du chercheur a déjà été évoqué auparavant dans notre séminaire, notamment dans la présentation de Marc-Antoine Nüssli sur les ontologies.

Davos et la Société des Nations

Les CUD sont organisés à quatre reprises, de 1928 à 1931. La crise économique, puis l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler, y mettent un terme. Des représentants de plusieurs pays d’Europe, dont la France et l’Allemagne, y participent. On y retrouve des scientifiques présentant l’état de leur recherche, mais aussi des politiques, dont le but est de rassembler et de réseauter pour permettre la reconstruction de l’Europe. Ces événements sont bien couverts par les médias, en particulier allemands et suisses, et peu traités par d’autres tels les médias français. Pour des raisons diplomatiques, les CUD ne sont pas reconnus par la Société des Nations.

De son travail sur les CUD, Martin a développé des méthodes et soulevé des questions menant à un travail de plus grande ampleur sur les archives de la SDN. L’organisation du fonds d’archives prend la forme suivante : Section > Cartons > Dossiers > Documents (parfois un seul, parfois plusieurs). Sur les dossiers apparaissent les noms des personnes dans les mains desquels ils ont passé. En plus des documents reçus par la SDN, on y trouve des copies des documents envoyés, et parfois des traductions de tous ces documents. Actuellement, l’objectif de Martin est de comprendre l’organisation de ce fonds, ainsi que d’évaluer ce qu’il contient.

Questions de recherche

Le travail de Master sur les CUD a motivé cette thèse, et l’étendue beaucoup plus importante de celles du CICI doit permettre de donner une compréhension plus globale de l’état des relations dans le monde scientifique dans la période de l’entre-deux-guerres.

Des questions apparaissent déjà à ce stade de l’étude. Par exemple,

  • Quel rôle est joué par la SDN dans le réseautage scientifique et intellectuel de l’époque ?
  • Au vu des relations politiques entre ces deux pays, qu’en est-il des relations entre scientifiques français et allemands ?
  • Observe-t-on des effets dans le monde scientifique de la mise à l’écart de l’Allemagne de la SDN ?
  • Comment reconstruit-on le dialogue et le réseautage scientifiques ?
  • Quels sont les lieux qui facilitent l’échange entre scientifiques ?
  • Quelles conséquences a l’arrivée de l’Allemagne dans la SDN en 1926 ?
  • En terme de collaboration scientifique, est-ce que la SDN n’est pas une grande usine à gaz ?
  • D’autres fonds d’archives ne contiendraient-ils pas plus d’informations sur le réseautage scientifique de l’époque ?

Dans ce contexte, l’exploitation des archives de la CICI est à saisir avec précaution, cet organisme politique n’ayant pas une vocation uniquement scientifique, mais d’être un lieu de débat et d’échanges.

Élaboration du réseau

Deux réseaux sont présentés, l’un basé sur la proximité entre chercheurs durant les CUD (assistent aux mêmes conférences, ou demeurent dans le même hôtel), l’autre montrant la hiérarchie du fonds de la CICI, depuis les pièces d’archives jusqu’aux scientifiques citées dans les différents documents. Ce second réseau est en cours d’élaboration, puisqu’une petite partie du fonds a été recensée. Son évolution dépend des questions de recherche et des conditions choisies pour consulter un dossier ou le laisser à l’écart.
GeoDavosMap

À ce stade, le réseau de la CICI est un outil permettant, moyennant le choix d’un algorithme de visualisation judicieux, d’obtenir rapidement un état des lieux de l’avancement du travail de dépouillement. En effet, des dossiers non-consultés créent un amas de sommets, tandis que ceux qui le sont ouvrent sur des personnalités entre lesquels commencent à se dessiner le réseau social sous-jacent.

Le réseau intègre également le résultat du dépouillement des CUD spécifiquement, que l’on voit apparaître dans la périphérie. À ce stade d’avancement, les scientifiques y assistant sont encore peu mentionnés dans les archives de la SDN. À ce propos, Martin s’interroge sur le possible rapprochement au sein du réseau de cette composante, ou de son maintien vers l’extérieur (à évaluer avec des outils algorithmiques).

Ce réseau est encore un objet complexe, avec plusieurs types de sommets (tous les stades du fonds d’archives ainsi que les personnalités) et d’arêtes (appartenance à un fonds, mention d’un nom), qui n’autorisent pas son analyse tel quel. Dans les informations en possession, on trouve également la source et le destinataire de la correspondance. Un réseau de relations dirigées peut être construit sur la base de ces observations, avec un attribut sur les arêtes tenant compte de l’intensité du lien. En ceci, ce travail va utiliser des outils (graphes bipartis et projections pondérées) et soulever des questions de méthodes proches de ceux dont il était fait état dans l’étude des Confessions de Rousseau.

Analyse de réseau

Se pose maintenant la question de l’espace fictionnel dans lequel la recherche et l’exploration des données se situent. Que signifie ce réseau, et que peut-on inférer des diverses structures locales entourant tel chercheur ou tel dossier ? Ce réseau est-il une étape vers d’autres, tel le résultat de la projection des co-occurrences en un “réseau social” ? Dans ce cas, quelle interprétation peut-on en faire ?

De même, on attend de l’analyse de réseau de pouvoir répondre aux questions suivantes : qui se rencontre dans les conférences ? Qui se rencontre via la SDN ? Est-ce la même structure qui se retrouve dans les deux cas ?

Géolocalisation

Martin a récemment commencé à explorer une nouvelle piste, en attribuant aux différents participants aux CUD les coordonnées géographiques de leurs universités. Le visuel les positionne sur une carte, et dessine ensuite les liens apparaissant entre eux tels que décrit auparavant dans ce compte-rendu. On y voit par exemple que Francfort joue un rôle important dans le contexte des CUD. Que se passerait-il avec ce même outil sur un réseau social de la CICI ?
GrapheGlobal

Interventions

Le réseau n’est pas exploitable tel quel. Il est trop complexe, et à ce stade la visualisation peut fausser la compréhension. À quelles parties faut-il le circonscrire ?
On attend des réseaux qu’ils corroborent des observations qu’on pourrait prouver via une exploration des archives. Par exemple, les personnes communément considérées comme “phares” le sont-elles vraiment ?

Ces conférences sont-elles un moyen de quitter le pays pour les chercheurs allemands ? Une fois la décision prise de fuir le pays, le réseautage effectué auparavant lors de conférence ou dans des commissions internationales est important puisque certains chercheurs se dirigent vers des laboratoires de gens qu’ils ont connu avant (cette observation se base sur l’étude de quelques parcours de vie et pas sur une analyse du réseau lui-même).

De quoi est fait le discours de promotion des échanges entre scientifiques ? Martin explique qu’il n’est pas très construit, mais vécu de manière forte par les scientifiques, avec des formulations telles que “plus jamais ça”. La SDN est plutôt diplomatique et froide. Et à cause de la situation politique, elle doit entourer son discours de paix de beaucoup de précautions.

Au-delà des mentions faites de scientifiques, que fait-on du contenu des documents ? Il contiennent beaucoup trop d’informations au vu de ce qu’on peut traiter, mais une notice reprend le contenu du document, par exemple avec des mots-clés. Il va également falloir décider si cette recherche doit pouvoir être consultable ensuite par d’autres chercheurs, et si c’est le cas, comment adapter le travail.


4 Comments

  1. Merci Yannick pour ce compte-rendu très complet ! Je me réjouis de ce que ces discussions, ainsi que les éléments qui contribuent à les continuer, ce post et mon état de ma recherche publiée de mon côté, participent à la réflexion autour de cet objet !

  2. [...] état de la recherche a fait l’objet d’une discussion et d’un compte-rendu de Yannick [...]

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